Une année scolaire pour reprendre le contrôle sur les écrans. Dix mois de réflexion autour des écrans, de leur place dans la vie de jeunes nés à l’ère du numérique.
Tel est le défi qu’ont relevé les élèves de Gilles VERNET, instituteur et réalisateur de documentaires, un défi qui met en lumière leur capacité d’analyse et leur sens critique développé sur un phénomène dont ils sont à la fois acteurs et victimes.
Apprendre à analyser leur utilisation des écrans
Les paroles des élèves montrent leur capacité d’analyse et leur lucidité.
Un élève précise ainsi « c’est comme si un fil invisible t’accrochait pour que tu restes devant l’écran », quand un autre souligne que la tentation vaut pour les parents.
Ils comparent l’attraction exercée par les écrans au « papillon qui est attiré par la lumière et ne peut s’empêcher de s’en approcher ».
La mesure, à l’aide de chronomètres remis à chacun, du temps consacré aux écrans leur a permis de prendre conscience de leur addiction. Les écrans sont en effet devenus la première activité des enfants, en dehors du sommeil, et la première préoccupation des parents, associés à la démarche.
Ils identifient aussi, à l’occasion d’une méditation, à quel point la capture de l’attention par les écrans nuit à leur capacité de se concentrer : « dans les deux cas, on ne pense à rien, mais ce n’est pas le même silence ; on est plus libre en respirant ».
Les raisons avancées par les jeunes sont édifiantes : « c’est un moyen de s’isoler », « ma sœur ne veut pas jouer avec moi », « mes parents travaillent ou n’ont pas de temps pour moi », raisons auxquelles s’ajoute l’attirance des adultes pour leur smartphone.
Or, les écrans sont problématiques quand ils font écran à la relation, ce que souligne Sophie MARINOPOULOS, psychologue spécialiste de l’enfance, qui constate que la famille est aujourd’hui « de plus en plus constituée de petits morceaux », chacun dans sa bulle.
Repérer les dangers des écrans
Si chacun reste dans sa bulle, quelle est la place pour la parole, l’écriture ? Comment faire société si on ne sait plus se parler, sauf en novlangue ou avec des émojis ?
Les enfants identifient clairement l’appauvrissement du vocabulaire comme un danger : « si on n’a pas de mots, on ne peut rien penser », il y a de « la violence, des embrouilles, on a du mal à exprimer ce qu’on ressent » ; et « les personnes intelligentes, comme les hommes politiques, peuvent nous faire croire des choses pas vraies ».
Anne ALOMBERT, maître de conférence en philosophie, ajoute que le principe de l’économie de l’attention est d’orienter les désirs, envies et besoins en vue de la consommation de produits ou marchandises, et non d’activités sociales ou d’échange.
Un autre piège des écrans réside dans sa facilité, l’être humain ayant tendance à choisir ce qui est le plus facile (les écrans plutôt que la lecture ou le sport).
L’influence des réseaux sociaux pose aussi la question de la construction de l’estime de soi : « on veut être plus beaux que les autres, que les influenceurs, qui paraissent plus beaux que ce qu’ils ont réellement ».
Reprendre le pouvoir sur les écrans
Selon Philippe BIHOUIX, ingénieur et essayiste, la technologie est ambivalente, à la fois utile et dangereuse. Il est donc important d’accompagner les enfants, de les protéger des aspects négatifs, notamment en leur apprenant à se connaître pour ne pas être à la merci des algorithmes.
La seule solution, pour en guérir, étant d’enlever l’objet d’addiction, la classe découverte de 10 jours déconnectés, dans la nature, est l’occasion parfaite de pratiquer d’autres activités et de se connaître mieux.
La nature permet en effet l’émerveillement, l’imprévu, le ressenti des émotions à des enfants aujourd’hui principalement exposés à des univers totalement maîtrisés et artificiels, irréels selon Pascale ROSSIER, auteur de « Révélez votre nature » .
Cette déconnexion aura permis aux élèves de réaliser que le temps passé sur les écrans enlève du temps pour s’amuser, prendre soin de sa famille, ses amis et que c’est parce qu’on donne du temps à quelque chose qu’il en devient important.
Tout l’enjeu est donc de garder les bienfaits de cette déconnexion, en réfléchissant à ce qui peut être mis en place pour que les écrans restent des serviteurs : « se fixer des règles », « demander aux parents du temps pour jouer ».
Espérons, comme Gilles VERNET, « qu’une graine a été plantée tout au long de cette année scolaire et qu’une petite voix les aidera à affronter notre monde numérique avec discernement et cœur ».
Le documentaire est en libre diffusion sur Public Sénat : www.publicsenat.fr/emission/documentaire/et-si-on-levait-les-yeux-une-classe-face-aux-ecrans-e0