Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm. Il est l’auteur de TV lobotomie (2011) et de l’Antirégime (2015), qui ont tous deux remporté un large succès public. Il vient de publier La Fabrique du crétin digital dans lequel il fait l’état des lieux des recherches scientifiques concernant les effets de la consommation récréative du numérique sous toutes ses formes (smartphones, tablettes, télévisions etc.). Dans un ouvrage extrêmement étayé (le texte est annoté de 1726 références), Desmurget démontre que le débat devrait être clos depuis longtemps alors que les discours offerts au grand public restent contradictoires.
« Mes amis médiatiques m’ont souvent reproché d’être paranoïaque, excessif, outrancier, alarmiste et partial. La mauvaise nouvelle, si ce tableau est vrai, c’est que je ne suis pas le seul à divaguer. Parmi mes collègues neuroscientifiques, ceux qui connaissent la littérature spécialisée discutée dans ce livre, mettent le même soin que moi à protéger leur descendance. En cette matière, ils ne font d’ailleurs que suivre l’édifiant exemple de nombreux cadres dirigeants de l’industrie du numérique, dont Steve Jobs, l’ex-mythique patron d’Apple 3-4. cela étant, il est possible aussi, évidemment, que le problème réside moins dans son insanité supposée que dans le traitement public accordé au sujet. Ce ne serait pas la première fois que l’intérêt économique biaiserait l’information. Alors qui bluffe; qui se trompe ; où est la vérité ? Cette « révolution numérique » est-elle une chance pour la jeune génération ou une sombre mécanique à fabrique des crétins ? »
« La communauté scientifique affirme depuis des années que « les médias [électroniques] doivent être reconnus commun un problème majeur de santé publique728« . Il faut dire que le corpus de recherche associant consommations numériques récréatives et risques sanitaires est exorbitant. La liste des champs touchés parait sans fin : obésité, comportement alimentaire (anorexie/boulimie), tabagisme, alcoolisme, toxicomanie, violence, sexualité non protégée, dépression, sédentarité.etc.55 236 729. A l’aune de ces données, on peut affirmer , sans ciller, que les écrans sont parmi les pires faiseurs de maladies de notre temps (les médecins diraient les pires « morbifiques »). Or, le sujet reste encore largement ignoré des articles et ouvrages de vulgarisation. Mieux, j’en ai parlé dans la première partie, il semble offrir à la cohorte des esbroufeurs médiatiques ses meilleures occasions de railleries. Alors faisons trois choses : suspendons un instant les ironies vaseuses; regardons précisément les données ; et demandons-nous effectivement s’il y a vraiment là matière à rire et persifler. »
3. Richtel M., « A Silicon Valley School That Doesn’ Compute
728. Christakis D.A et al., « Media as a public health issue », Arch Pediatr Adolesc Med, 160, 2006
55. DesmurgetM;, TV lobotomie, J’ai Lu, 2013.
236. Strasburger V.C. et al., « Children, adolescents, and the media : Healtheffects », Pediatr Clin North Am 59, 2012
729. Strasburger V.C. et al., « Health effects of media on children and adolscents », Pediatrics, 125, 2010.